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Le bois, cette bioressource qui bouscule la construction

Visuel Ville en bois
Le dossier de décryptage
Temps de lecture : 7 minutes

Ressource aux multiples vertus, le bois remporte tous les suffrages. Mais pourquoi les constructions en bois ne représentent qu'à peine 7 % des opérations neuves alors que la forêt française, bien qu’ayant particulièrement souffert cet été, affiche un renouvellement naturel annuel bien supérieur à la consommation de bois ? État des lieux de la filière et de la formation aux métiers avec 4 acteurs du bâtiment et de l’industrie qui unissent leur voix en faveur de ce matériau biosourcé et noble, parfaitement en phase avec les enjeux écologiques actuels. 

L’atout du bois biosourcé dans la construction

Longtemps boudé pour des matériaux à la fabrication sur commande et maîtrisée par les êtres humains comme le béton, l’acier ou le métal, le bois fait son retour en force pour compenser les 44% de consommations d’énergie en phase de construction et les 25% d’émissions de gaz à effet de serre d’un secteur en profonde transformation. Pour autant, la ville de demain ressemblera-t-elle au village d’Astérix et Obélix ? Peu de chances en termes d’esthétique et d’usage, en revanche, il se pourrait bien que les maisons en pierre et en bois des irréductibles gaulois inspirent les architectes et les constructeurs immobiliers sur le plan de la mixité des matériaux et de la flexibilité que permettent les constructions en bois.

“La nature n’est pas mono-matériau, il n’y a pas de raison pour que nos bâtiments le soient mais le bois permet de rentrer dans un dialogue avec le cycle du vivant et actuellement, nous avons besoin de regarder la nature pour tenter de faire mieux qu’elle.”

Steven Ware, Architecte chez ArtBuild

Un changement de paradigme qui épouse les défis actuels et qui montre que l’habitat témoigne des impératifs de notre époque. “Aux XIXe et XXe siècles, en raison des nombreuses guerres, il a fallu reconstruire très rapidement, sans compter que tous les métiers du bois ont disparu dans les tranchées de la première guerre mondiale", résume habilement Steven Ware qui pointe la nécessaire mise en oeuvre d’une transformation industrielle et culturelle autour de l’utilisation de cette matière organique.

Bouygues Bâtiment France · Steven Ware

Tout (ré)apprendre : embarquer toutes les parties prenantes du bois

Lorsqu’un projet de construction en bois émerge, il active tout un réseau de sachants autour de la table. Pas question de dessiner un projet sans connaître les vertus et les limites du bois ni d’envisager de transposer en bois un chantier initialement prévu en béton. Pour centraliser la connaissance de ce matériau biosourcé, Bouygues Bâtiment France a lancé WeWood, une démarche dirigée par Christophe Lemaître, Directeur construction bois qui affiche l’ambition collective d’arriver à 30 % de projets en bois à l’horizon 2030. “Nous avons besoin d’embarquer tous les acteurs de la filière, d’organiser la montée en compétences de nos collaborateurs et de nouer des partenariats durables pour imaginer des solutions innovantes nécessaires à la réalisation de nos objectifs.” Pour réussir une mobilisation d’une telle ampleur, embarquer l’ensemble de nos collaborateurs et de nos partenaires est une véritable gageure. Ainsi, WeWood soutient la formation professionnelle au métier de monteur en structure bois et mixité des matériaux dispensée par le CFA Gustave Eiffel. Une initiative positive qui n’est pourtant pas encore suffisante à en croire Christophe Lemaître, bien conscient que les industriels spécialistes des solutions bois ont également besoin d’un sacré coup de pouce pour répondre à la demande croissante. Il devient impératif qu’ils gagnent en autonomie et en performance pour pouvoir servir les objectifs de Bouygues Bâtiment France et des autres constructeurs aux ambitions similaires. Pour rappel, Bouygues Bâtiment France prévoit une diminution de 30 % de son empreinte carbone en 2030 avec une économie de 55 000 tonnes de CO² (versus 24 000 tonnes d’économies en 2021 sur les 240 000 tonnes de gaz à effet de serre générées par l’entreprise).

“Nous prévoyons de livrer 50 % de nos opérations en bois d’ici 2030. Déjà 20 % de nos permis de construire déposés cette année confirment notre engagement”.

Christophe Lemaitre, Directeur Construction Bois de Bouygues Bâtiment France

Des chiffres ambitieux relayés également par Laurent Mourey, Directeur Général de Linkcity France, le développeur immobilier de Bouygues Bâtiment France. Cette filiale du constructeur est un atout unique pour accélérer la construction en bois dans la mesure où elle permet de promouvoir ce matériau biosourcé dès la phase de conception des projets. Leur intervention très en amont de la construction offre un potentiel supplémentaire pour le bois. 

"Le bois va permettre d’atteindre nos objectifs de réhabilitation et de réversibilité de nos opérations immobilières. En s’affranchissant de la structure béton, on obtient un bâtiment parfaitement modulable."

Laurent Mourey, Directeur Général de Linkcity France

Accompagner le secteur de la construction dans sa restructuration

Le virage est donc pris mais les professionnels se rejoignent sur l’importance de moderniser l’outil industriel et de faire en sorte que les fabricants disposent d’une chaîne de production stable pour honorer des carnets de commande de plus en plus remplis, signe tangible de la massification des constructions en bois qui vont favoriser les économies d’échelle. La RE2020 de plus en plus exigeante sur la performance thermique et énergétique des bâtiments neufs, le soutien de l’état à la filière bois-forêt qui accorde des fonds - plus d’un milliard d’euros -  à l’amélioration de l’outil industriel et au reboisement des forêts françaises, les constructeurs qui donnent visibilité et sécurité à leurs partenaires grâce à des contrats-cadres permettant aux fabricants de solutions bois de financer l’effort industriel demandé… Tous ces leviers d’action sont particulièrement encourageants mais la réhabilitation de ce matériau impose des changements dans l’essence même de la chaîne de valeur. Comme le résume avec le sourire, Jean Piveteau, à la tête de Piveteaubois, fabricant français de solutions bois pour la construction, l’aménagement extérieur et le bois énergie depuis 1948 : “Si on est aussi en retard en France sur les constructions bois, c’est parce que le pays vient d’une culture du béton avec un savoir-faire reconnu dans le monde entier.”  En attendant de nouvelles innovations, Jean Piveteau reste concentré sur d’autres enjeux qui ont un impact sur le collectif et le bien commun. 

“Notre travail se résume ainsi : valoriser la forêt qui pousse sur notre territoire et l’ensemble de la matière qui rentre dans notre usine.”

Jean Piveteau, Président de Piveteaubois

Malgré la courte définition, l’ampleur de la tâche est considérable. Pour honorer leurs commandes, les industries ont tout intérêt à travailler main dans la main avec les exploitants de forêts. Les acteurs de la filière bois gardent à l’esprit qu’une parcelle mal entretenue est une forêt qui perd de ses capacités (la principale étant la séquestration du carbone). Sans compter qu’une régénération naturelle ne suffit pas à satisfaire la demande.

L’abondance de la forêt conduite par la main de l’Homme

De son point de vue de constructeur, Christophe Lemaitre abonde dans le sens de Jean Piveteau : “La ressource bois est très présente en France mais sa gestion s’anticipe en permanence, nous avons besoin de bois à maturité qui pousse au moins en 30 à 40 ans…” Certes, la forêt est largement préservée puisque les prélèvements sont inférieurs à son augmentation naturelle, mais il faut paradoxalement faire appel au savoir-faire humain pour assurer les bonnes conditions du renouvellement de ses ressources biologiques. 

Au final, construire en bois, c’est mettre le doigt dans l’engrenage du vivant et de ses réactions en chaîne. Parce que nous faisons appel à une matière organique et biosourcée sur laquelle nous n’avons pas la capacité de réduire l’incompressibilité du temps, c’est toute une mécanique qu’il faut repenser, de sa fabrication à son circuit d’approvisionnement. Réintégrer les matières vivantes dans les espaces urbains nous invite avant tout à devenir les acteurs responsables de cette matière que l’on prélève pour pallier les dérives de nos activités humaines. Pour résumer le point de vue de Jean Piveteau, l’enjeu réel consiste à financer la forêt pour tenter de réduire le rejet de gaz à effet de serre et les effets du réchauffement climatique, la construction en bois permet de contribuer à la solution d’un logement plus sobre et plus durable. Il n’empêche : limpidité, circularité et humilité sont toujours les mots d’ordre lorsque nous faisons le choix de collaborer avec les ressources naturelles.