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École inclusive : mixité, égalité des genres pour demain

École de demain | BBF
La tribune
Temps de lecture : 5 minutes

La pédagogie évolue au rythme de nos sociétés et de ses enjeux. Les écoles adaptées aux pratiques éducatives deviennent parfois obsolètes, voire bloquantes dans la l'accomplissement de certains défis qui se posent à notre société. Alors à quoi peut ressembler l'école de demain ? Sera-t-elle enfin synonyme d'inclusion, de réversibilité et de végétalisation ?

    Edith Maruéjouls, géographe du genre, a développé son expertise en plaçant systématiquement l’égalité filles-garçons et femmes-hommes au cœur des projets qui lui sont confiés. Depuis la soutenance de sa thèse en 2014 sur l’égalité filles-garçons dans les espaces du loisir des jeunes, elle a également fondé et dirige l’ARObE, son propre bureau d’études. Edith Maruéjouls construit son travail et ses observations à travers des missions d’immersion pour proposer des aménagements égalitaires tels que l’aménagement de la cour de récréation dans les établissements scolaires. À ce jour, elle a accompagné plus d’une vingtaine d’écoles.

    Nous lui donnons la parole aujourd’hui afin de décrypter l’enjeu majeur qu’est l’inclusion et la mixité des genres dans la conception des établissements scolaires. Comment penser une école plus inclusive, à travers son bâtiment, son aménagement et ses espaces ?

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    Edith

    « Pour légitimer la place de chacun·e, il faut recentrer les espaces. »

    Edith Maruéjouls, géographe du genre

     

    L’éducation et l’égalité constituent des piliers et des valeurs immuables de la démocratie. Oui et oui seulement, que se passe-t-il véritablement dans les cours de récréation à l’école ? Comment la mixité des genres s’organise-t-elle ? L’école inclusive est-elle rendue possible ou est-elle encore verrouillée ? Plongée dans l’aménagement des espaces communs des établissements scolaires pour mieux comprendre pourquoi ils ne favorisent pas encore systématiquement l'inclusion… à l’image de la ville, de sa construction et de son organisation.

    L’école inclusive grâce à l’aménagement de la cour de récréation

    Il n’y a qu’à observer l’importance accordée aux terrains de sport, majoritairement investis par les garçons, et la relégation au second plan des “jeux des filles” comme la corde à sauter qui sont considérés comme auto-organisables. De plus ou moins bons souvenirs de récréation vous reviennent ?

    Cette segmentation des cours de récréation à l’école encourage les stéréotypes en partant du principe que tous les garçons jouent au foot et que toutes les filles préfèrent discuter entre elles. Les usages sont prescrits à travers les aménagements, ils forgent les poncifs et les inégalités de genre. Ouvrir l’espace à l’école favoriserait la rencontre entre filles et garçons, ce qui constitue la véritable question de fond. En créant des espaces de négociation et de renoncement - c’est-à-dire des lieux dans lesquels le compromis sur ses propres intérêts est possible -  on induit cette relation qui va pouvoir garantir toutes autres formes de mixité et d’inclusion des genres à l’école. Notre travail consiste à proposer des stratégies d’organisation des espaces sans prescrire d’usage pour éviter de proscrire tous les autres, et en gardant à l’esprit d’affaiblir la question des stéréotypes.

    Encourager la co-veillance dans les écoles, voir et être vu

    L’absence de relationnel participe donc à la construction de la violence. Pour aller au devant du conflit, les fameux espaces de négociation sont vitaux. À ce titre, l’exemple des toilettes mixtes dans les écoles est particulièrement révélateur. C’est à la fois un problème de santé publique - 8 enfants sur 10 s’empêchent d’aller aux toilettes - et une question de harcèlement avec 1 enfant sur 4 qui reconnaît se faire embêter dans ce lieu qui échappe la plupart du temps au regard de l’adulte. Alors, comment casser le sentiment d’impunité tout en préservant l’intimité ? Il faut pouvoir ouvrir le bloc aux regards, rendre le passage d’un adulte possible et pour cela supprimer les urinoirs. Ce type de dispositif permet de poser les bases du principe de co-veillance : voir et être vu. Ainsi, on induit une surveillance passive et on instaure la notion de responsabilisation et d’entraide. 

    Quant à la mixité du lieu, que dit-on de l’état de la relation filles/garçons lorsque l’on explique à une petite fille de six ans qu’elle doit se protéger des garçons ? Cette mixité des genres ne peut fonctionner que lorsqu’elle permet de rencontrer la limite de l’autre, à savoir son corps. Induire la perméabilité des mondes au sein des espaces est gage d’ouverture et de respect de l’autre.

    Favoriser la perméabilité des espaces à l’école pour faire éclore l’inclusion

    Lors de nos missions d’immersion dans les écoles, nous envisageons la quotidienneté des relations en se posant des questions qui n’ont rien de banal puisqu’elles construisent, au bout du compte, un projet sociétal. Est-ce que l’on mange, rit, danse ensemble à l’école ? Quelle place accorde-t-on aux rêveurs·ses, aux lecteurs·trices ? Pour légitimer la place de chacun·e, il faut recentrer les espaces. 

    Ainsi, les terrains de sport sont à imaginer dans la largeur de la cour de récréation plutôt que dans la longueur pour permettre de faire co-exister des espaces intermédiaires pour jouer aux billes ou faire un jeu de société. Il faut pouvoir créer des ambiances de cour, construire des cheminements, des parcours pour aller d’un espace collectif à un espace calme, faire en sorte d’arrêter les corps pour créer d’autres opportunités de jeux et de rencontres. Externaliser les jeux d’intérieur, sortir les tables, du matériel de dessin, des craies sont autant d’idées pour déconstruire la hiérarchisation des activités. Ainsi, on travaille subtilement le rapport de force et on facilite l’inclusion de tous.

    Prenons l’exemple des assises seules. En les faisant exister, on légitimise le fait de pouvoir être seul. Ces sièges sont beaucoup moins stigmatisants qu’un banc linéaire sur lequel la personne solitaire va venir à côté d’un groupe.

    Organiser la relation à la cantine en disposant une assise seule à côté d’une autre permet (ou non) la rencontre. En tournant ces tables seules face à la cour de récréation, on poursuit l’idée de voir et être vu. Ces espaces envisagés de façon perméable plutôt que morcelée favorisent l’interaction et offrent davantage d’opportunités dans les échanges. De même que dans la conception de l’espace public où la réflexion est analogue.

    Aujourd’hui, les choses changent, il y a désormais une écoute pour juger positivement ce type d’expertise sur l’égalité à l’autre mais le meilleur indicateur de l’altérité revendiquée revient aux enfants qui à travers leurs mots révèlent leur volonté de faire société entre filles et garçons. Et des écoles qui répondent à un partage de l’espace plus équitable est un facteur décisif pour l’appréhension - et non plus la préemption -  des espaces publics et des aménagements urbains.

    Par Edith Maruéjouls